XXXVI
Au cocktail rouge (un Campari ?) que brandit une main anonyme au premier plan, sur l’annulaire de laquelle luit une chevalière, aux ombres basses, vous devinez qu’on est en fin d’après-midi. Juchée sur la chaise de l’arbitre, Aurore domine le court de tennis.
La caméra descend lentement sur ses jambes, qu’elle croise dans un mouvement qui remonte sa mini-jupe blanche plissée. A ses bras et ses cuisses nus bronzés, vous constatez qu’Aurore a grossi. Les derniers rayons du soleil derrière la caméra projettent l’ombre du filmeur sur le corps découvert d’Aurore.
Lorsque son ombre recouvre entièrement son corps, la jeune fille détourne le visage du geste qui vous est devenu familier.
XXXVII
Rêve d’Innsbruck.
Dans une zone aux abords de la frontière autrichienne, il est impossible de savoir où on est. Les forêts de séquoias sont un nid d’espions. Les agents abandonnent les documents secrets dérobés à l’administration sur le siège du téléphérique. Un jeune apprenti qui fait la vaisselle dans les cuisines d’un restaurant sert de passeur, une fois son service de nuit achevé.
Depuis sa rencontre avec Sabrina, A. redoute parfois de devenir invisible. Aussi transparente que ses incursions mentales demeurent inaudibles, elle surprendra les rendez-vous d’amour et de trahison durant lesquels les amants et les espions, dans les arrière-salles d’hôtels des villages frontaliers, échangent serments, promesses, illusions et secrets. Ce jour-là, de la surface de la terre et de la vie des hommes, A. aura disparu.
Hélène Frappat, Par effraction, Allia, 2009, p. 82-83.
Les livres d’Hélène Frappat sont des puzzles dont on n’est pas sûr d’avoir toutes les pièces, et de ce doute naît une histoire. Dans Par effraction, se croisent et se tressent trois fils de nature différente. Une bobine de cinéma amateur et muet, acquise par vous aux Puces de Clignancourt, vous donne à voir la vie d’« Aurore », en témoin forcément extérieur de cette vie fragmentée, bourgeoise et opaque, filmée (trop ?) par un œil invisible. En contrepoint le récit la vie d’A., affligée d’un don funeste qui la condamne à la solitude : elle entre par effraction et sans le vouloir dans la pensée d’autrui. Le troisième fil est celui d’un je en italiques qui note ses rêves. On comprendra le prix du silence, où la vie enfin commence, tard.
Je suis bien de l’avis d’Alain Nicolas, et ça m’amuse assez aussi de pouvoir écouter et regarder Hélène Frappat interviewée par un Sylvain Bourmeau invisible.
PS : Et tiens, coïncidence (authentique), je vois à l'instant que Bénédicte Heim aime aussi.
PhA 13/09/2009 21:29
Anna de Sandre 13/09/2009 06:56
Depluloin 12/09/2009 22:28
Anna de Sandre 12/09/2009 19:35
Depluloin 10/09/2009 10:06